Friday, 17 January 2014

Lee Ufan

'Un art de la rencontre'

La Nature :

La Nature est insaisissable. L'Orient comme l'Occident la conçoivent de divers façons. Tantôt comme l'ensemble des objets qui nous entourent : arbres, pierres, eaux, montagnes ou oiseaux ; tantôt comme ce qui advient par soi-même, sans l'entremise humaine ; tantôt comme l'ensemble des éléments qui composent l'univers. Considérer la nature comme un objet permet à l'homme de la contrôler, sinon de la détruire. En revanche, la voir comme représentant l'univers du non-objectal ne laisse plus place à la mainmise humaine. Or, n'est ce pas justement parce qu'elle est infinie que la Nature est si souvent associée au 'mystère'?

Pour Héraclite, la Nature est le changement en soi, pour Lao-Tseu, le sans-limite. L'un et l'autre s'accordent donc à penser la Nature comme ce qui ne peut être ni délimité ne déterminé. Le physicien contemporain W. Heisenberg dit qu'elle est ce qui se situe hors de toute hypothèse et ne peut jamais devenir objet. le philosophe T. Adorno en parle dans le même sens, comme du 'dehors' qui ne se laisse pas circonscrire par la raison, et du pouvoir qui conduit à la critique et à la négation des institutions et de la culture.

En Orient, nombre de poètes et de sages ont aspiré à la Nature.`Parce qu'ils la voyaient, semble-t-il, non comme un havre de paix, mais plutôt comme le lieu où l'homme, affrontant sa propre solitude, devient un Autre. Il peut semble contradictoire que des êtres de culture soient fascinés par l'univers non artificiel de la Nature, mais tel est bien le paradoxe. Face au concept de Culture, signifiant d'une communauté tendant irrésistiblement vers la stabilité, la Nature est fondamentalement fluctuante, inconnue et extérieure.

Du point de vue des valeurs modernes, la Culture est, en tant que production humaine, supérieure à la Nature. N'ayant guère subi l'intervention humaine, la Nature n'est qu'un matériau de production ; elle est sans valeur et anhistorique. Or, l'espace communautaire fermé de la Culture étant déjà presque obsolète, il est presque impossible, aujourd'hui, d'envisager le futur de l'humanité à partir d'une conception aussi réductrice de l'histoire, centrée sur la production. L'homme se trouve donc acculé à la nécessité de réviser les valeurs de la modernité, axées systématiquement sur le faire. Il lui faut explorer de nouveaux modes de relation avec la Nature, qui reconnaissent la valeur du monde extérieur comme ce qui n'est pas agi ni déterminé. Il lui faut repenser l'histoire, en cherchent à y intégrer la Nature, au lieu de se focaliser sur une histoire de l'identité.

La Nature est aujourd'hui un thème d'actualité. Ceci tient manifestement à la prise de conscience du fait que l'évolution technologique, liée à l'idéologie de la maîtrise humaine, est à l'origine du fantasme nihiliste d'uniformisation dans laquelle toute la société  à basculé. La réalité est là pour nous rappeler que la mise sous contrôle 'humain' de toute choses, par l'informatisation et la programmation, a pour contrepartie l'occultation de la Nature, pourchassée, exclue, en tant qu'élément extérieur. A force de perdre le sens de la réalité brute, naturelle, puisque tout tend à devenir indirect, nous n'avons plus guère la sensation de vivre, dans toute la richesse de ses contradictions.

Le premier pas vers la Nature est le présent. Champ dans lequel l'immédiat fonctionne avec l'institué, ou l'incertain entre en jeux. Qui vivifie étrangement l'homme. Qui l'illumine, comme toute rencontre. La Nature est l'Autre. Un Autre toujours stimulant. Un extérieur à jamais impossible à réifier. Vivre en quête d'inconnu, dans la rencontre avec l'Autre, est la condition sine qua non pour pouvoir parler d'infini.